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Des turbulences constantes : l'emploi dans l'aviation civile

Le secteur de l'aviation n'a cessé d'évoluer au fil des ans, façonné à la fois par des développements à long terme et des chocs à court terme. Les données de l'OIT suggèrent que le secteur est caractérisé par des "turbulences" dues à des niveaux très fluctuants et à une structure changeante de l'emploi, à des déséquilibres persistants entre les hommes et les femmes et à d'autres défis en matière de travail décent, tous liés à la nature cyclique et concurrentielle de l'industrie.

L'aviation civile est un secteur vital pour les économies, permettant le commerce international et le tourisme, générant des millions d'emplois directs et des millions d'autres indirects. Dans cette analyse, le secteur de l'aviation civile comprend le transport aérien de passagers et de fret, ainsi que les activités accessoires et de soutien, notamment l'exploitation des aéroports et la manutention du fret. Conformément à la classification des secteurs de l'OIT, la construction aéronautique n'est pas incluse. L'emploi direct est estimé à 11,3 millions d'emplois dans le monde, y compris dans les aéroports (gestion, maintenance et exploitation des aéroports) avec les compagnies aériennes et les prestataires de services de navigation aérienne. La main-d'œuvre de l'aviation civile couvre un large éventail de professions, depuis les pilotes et le personnel de cabine jusqu'au personnel au sol, en passant par les contrôleurs aériens, les techniciens de la sécurité et les mécaniciens et réparateurs d'aéronefs.

Changements structurels et modèles d'emploi dans une industrie hautement cyclique

De nombreuses tendances ont façonné le secteur au fil des ans, notamment la privatisation, la déréglementation et l'émergence des transporteurs à bas prix (LCC). Dans certains cas, les effets de la forte concurrence et de la pression exercée pour réduire les coûts ont été répercutés sur les travailleurs et se sont reflétés dans les indicateurs de stabilité et de sécurité de l'emploi, les salaires et les heures de travail. Jusqu'à aujourd'hui, cependant, la structure de propriété et le contrôle des compagnies aériennes varient considérablement d'un pays à l'autre, ce qui se reflète dans les schémas d'emploi. Au cours de la dernière année pour laquelle des données sont disponibles, la part publique de l'emploi dans le groupe professionnel des "accompagnateurs de voyage, conducteurs et guides" était faible dans des pays européens comme la France (9 pour cent) et le Royaume-Uni (11 pour cent) où la participation du secteur privé a augmenté, mais assez élevée dans d'autres pays, notamment en Asie centrale et occidentale (par exemple, 80 pour cent en Géorgie), en Europe de l'Est (par exemple, 56 pour cent en Pologne et 50 pour cent en Slovaquie), et en Afrique du Nord (environ 62 pour cent en Tunisie et 46 pour cent en Égypte). Il était également très élevé dans des petits États comme les Îles Marshall, Tonga et Brunei Darussalam. La privatisation n'a pas seulement eu un impact significatif sur les compagnies aériennes, mais aussi sur les aéroports, où le partage de la propriété entre acteurs privés et publics est également très répandu.

Outre les tendances à long terme, la nature cyclique de l'industrie se reflète également dans les schémas d'emploi. Ainsi, nous observons que l'emploi dans les sous-secteurs de l'aviation civile augmente et diminue parallèlement aux indicateurs de production, tels que le nombre de passagers, le volume de fret et le nombre de départs de transporteurs. En effet, les fluctuations de l'emploi sont souvent plus prononcées que les changements dans les indicateurs de production correspondants.

Le caractère cyclique du secteur a également des implications en termes d'accords contractuels. Par exemple, les compagnies aériennes utilisent de nombreux types de contrats de travail, y compris des organisations intermédiaires telles que les agences de travail temporaire. Dans nos données, nous ne trouvons aucune corrélation entre la part publique de l'emploi (parmi les agents de voyage) et la part temporaire de l'emploi dans le secteur du transport aérien. Cela peut être dû à d'autres éléments structurels que nous ne pouvons pas examiner à partir des données disponibles, tels que l'importance relative de l'emploi dans les LCC, où la part des travailleurs ayant un contrat de travail direct tend à être considérablement plus faible

La pandémie de COVID-19 a mis en évidence à la fois l'importance du secteur de l'aviation civile et ses vulnérabilités...

Au cours de la pandémie de COVID-19, les variations de l'emploi ont été moins importantes que celles de la production. Le secteur a été l'un des plus touchés par la pandémie et, là où ils ont été déployés, certains programmes de maintien de l'emploi ont permis de limiter dans une certaine mesure les pertes nettes d'emplois. Ainsi, la forte volatilité de l'emploi dans l'industrie est illustrée non seulement par les fluctuations des niveaux d'emploi, mais aussi par la composition de l'emploi. Par exemple, au début de la pandémie, les travailleurs temporaires du secteur du transport aérien de passagers ont subi une part disproportionnée des pertes d'emplois dans certains pays (par exemple, l'Autriche, le Mexique et les Philippines) en 2019 et 2020, mais l'emploi temporaire s'est rétabli plus rapidement dans un premier temps, les employeurs ayant eu recours aux travailleurs temporaires pour combler les pénuries de main-d'œuvre. Toutefois, dans plusieurs pays, la part des travailleurs temporaires dans l'emploi de l'industrie a de nouveau diminué en 2022. Ces tendances indiquent que l'évolution de l'emploi net dans l'industrie masque en grande partie les turbulences du secteur. Les défis liés à l'attraction et à la rétention du personnel aéronautique peuvent découler de divers facteurs, notamment le coût de la formation, de la certification et de la requalification, les stéréotypes, les préjugés, la réputation perçue en ce qui concerne l'empreinte environnementale et les obstacles juridiques.

Évolution des salaires dans un secteur concurrentiel

Dans de nombreux pays pour lesquels des données sont disponibles, la cyclicité de l'industrie se reflète également dans les revenus mensuels nominaux des travailleurs, ce qui contraste avec une croissance plus régulière du salaire nominal moyen national. La cyclicité des revenus dans le secteur peut être observée au niveau professionnel et n'est donc pas imputable à un changement dans la composition de l'emploi. En effet, dans certains pays européens pour lesquels nous disposons de séries chronologiques, nous constatons que les salaires nominaux dans des professions clés ont connu une croissance très limitée au cours de la dernière décennie (par exemple, les hôtesses de l'air et les stewards en France et en Suisse) ou étaient même en baisse (par exemple, pour les pilotes d'avion et les professionnels apparentés en Suisse). Ces tendances ne sont toutefois pas universelles, puisque les pilotes d'avion et les professions connexes au Brésil ont connu une croissance rapide de leurs salaires nominaux jusqu'à l'arrivée de la pandémie. L'impact significatif de la pandémie se traduit par une baisse importante des salaires mensuels pour les principales professions de l'aviation civile dans de nombreux pays.

Écarts de rémunération entre les hommes et les femmes et ségrégation professionnelle

La ségrégation professionnelle dans l'aviation civile a persisté au fil du temps, avec une part très limitée de femmes employées dans certaines professions comme les pilotes d'avion et les professionnels associés (entre 0,6 et 21,4 % dans les pays disposant de données), les mécaniciens et réparateurs de moteurs d'avion (entre 0,6 et 6,1 %), et des parts très élevées dans d'autres professions, à savoir les hôtesses de l'air et les stewards (jusqu'à 81 %) et les consultants et employés de bureau en voyage (jusqu'à 85 %).

La ségrégation professionnelle dans le secteur de l'aviation civile s'accompagne de différences salariales entre les hommes et les femmes. Plus précisément, dans presque tous les pays pour lesquels des données sont disponibles, les femmes employées comme pilotes d'avion et autres professionnels associés étaient moins bien payées (environ 75 % de moins au Brésil et aux Philippines, et 20 à 25 % de moins en Colombie, en France, en Tunisie et au Royaume-Uni) que les hommes exerçant la même profession au cours de la dernière année pour laquelle des données sont disponibles. Il n'y a qu'au Mexique que les femmes étaient mieux payées que les hommes dans cette profession, mais cela pourrait être dû en partie à leur importante sous-représentation dans cette profession (moins de 1 % des pilotes d'avion et des professionnels associés au Mexique sont des femmes). À l'échelle mondiale, les femmes professionnelles de l'aviation se heurtent à de nombreux obstacles. L'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) a lancé un appel à l'action pour passer des aspirations à la réalisation de l'égalité des sexes dans le secteur.

Les données disponibles pour les contrôleurs aériens et les techniciens en électronique de sécurité du trafic aérien, où les femmes représentent une petite partie de la main-d'œuvre, indiquent que les écarts de rémunération varient d'un pays à l'autre et au fil du temps dans ces professions. De même, les femmes mécaniciennes et réparatrices de moteurs d'avion étaient mieux payées que les hommes au Mexique et aux Philippines, et moins bien payées que les hommes dans tous les autres pays disposant de données sur cette profession (Brésil, Colombie, El Salvador et Royaume-Uni). Au Mexique et aux Philippines, l'écart de rémunération ne s'est inversé que récemment, en 2018.

Dans la profession d'hôtesse de l'air et steward, où la proportion de femmes est généralement élevée, les écarts de rémunération varient également d'un pays à l'autre et au fil du temps. En 2022, les hôtesses de l'air et les stewards gagnaient moins que les hommes dans des pays comme la Colombie et le Royaume-Uni, mais plus que les hommes au Brésil et en Thaïlande. Dans ces deux derniers pays, cependant, l'écart de rémunération en faveur des femmes n'a pas toujours existé pour cette profession. Plus précisément, au Brésil, les agents de voyage et les stewards gagnaient en moyenne plus que les femmes jusqu'en 2019, mais l'écart s'est inversé pendant la pandémie. De même, en Thaïlande, l'écart de rémunération pour cette profession, qui était en faveur des hommes en 2014, s'est inversé depuis 2015 et s'est considérablement creusé en faveur des femmes pendant la pandémie. Toutefois, cela peut être dû à des pertes d'emploi plus importantes parmi les employées les moins bien rémunérées, qui peuvent également avoir des arrangements contractuels plus précaires.

Parmi les consultants ou commis de voyage, les femmes gagnent plus que les hommes dans les pays d'Asie du Sud-Est (Philippines, Thaïlande et Viêt Nam) ainsi que dans les pays d'Asie du Sud (Bangladesh et Pakistan) pour lesquels des données sont disponibles. Les pays d'Asie du Sud où la participation féminine globale est faible ( la main-d’œuvre ) font partie des quelques pays où les femmes ne représentent qu'une petite partie de la main-d'œuvre de cette profession. Parmi les commis des transports, où les femmes représentent entre 5 et 45 pour cent de la main-d'œuvre, les femmes étaient moins bien payées que les hommes dans 11 des 12 pays pour lesquels des données sont disponibles.

Trajectoires incertaines

Après la pandémie, le secteur de l'aviation civile continue de connaître une reprise lente et inégale. Des problèmes de main-d'œuvre sont apparus dans diverses catégories professionnelles au cours de cette période, ce qui a eu une incidence négative sur la reprise de l'industrie. Malgré des progrès marginaux dans quelques pays, il reste beaucoup à faire, non seulement pour remédier aux inégalités entre les hommes et les femmes et aux écarts de rémunération, mais aussi pour faire face aux conséquences des changements technologiques rapides et des objectifs ambitieux de décarbonisation. Ces changements pourraient remodeler à la fois les modèles d'emploi et la nature même du travail dans le secteur. En effet, les résultats présentés ci-dessus font écho aux conclusions du récent rapport de l'OIT intitulé "Vers une économie verte, durable et inclusive".Vers une reprise verte, durable et inclusive du secteur de l'aviation civilePlus précisément,"la compréhension du caractère cyclique du secteur, associée aux objectifs ambitieux en termes de changement climatique, constitue une étape importante vers le renforcement de la résilience et l'identification des possibilités de façonner la reprise". 

Auteur

  • Souleima El Achkar

    Souleima est économiste et spécialiste de l'information sur le marché du travail, avec une expertise dans les systèmes de développement des compétences. Depuis 2010, elle travaille comme consultante sur divers projets pour l'OIT, la Banque asiatique de développement et la Banque mondiale.

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