Comment les données peuvent favoriser le travail décent dans le secteur du tourisme

Des données approfondies sur l'emploi dans le secteur du tourisme peuvent fournir des informations précieuses pour élaborer des politiques qui profitent aux entreprises et améliorent le bien-être des travailleurs de ce secteur.
Adri Berger / OIT

Selon les estimations de l'OIT, plus de 230 millions de travailleurs, soit environ 7,2 pour cent de la main-d'œuvre mondiale, sont employés dans les industries du tourisme à travers le monde. À cela s'ajoutent les millions d'emplois indirectement générés par le secteur, par exemple par les retombées d'activités connexes. Si l'on tient compte des emplois directs et indirects, on estime qu'environ 1 emploi sur 10 dans le monde et 1 emploi sur 4 nouvellement créé étaient liés au secteur du tourisme en 2019. En effet, de nombreuses études ont mis en évidence l'importance du secteur pour la création d'emplois et de revenus, y compris pour les femmes et les jeunes, et en tant que source de diversification économique, en particulier dans les zones et localités rurales et isolées. 

De récents rapports de l'OIT ont mis en lumière l'impact dévastateur de la pandémie de COVID-19 sur le secteur et souligné la nécessité d'une reprise centrée sur l'humain, inclusive et résiliente, ainsi que d'une transition juste vers un avenir durable du travail dans le tourisme. Cela nécessite des politiques visant à améliorer les salaires, les conditions de travail, y compris la sécurité et la santé au travail, à promouvoir la formalisation, à permettre l'extension de la sécurité sociale aux travailleurs informels et indépendants, à encourager le dialogue social et d'autres éléments associés aux résultats du travail décent pour les travailleurs du secteur, ainsi qu'à une productivité et une durabilité accrues pour ses entreprises.

Mais les politiques efficaces doivent être fondées sur des preuves, et les politiques fondées sur des preuves nécessitent des données de haute qualité. Dans ce blog, nous examinons des données détaillées au niveau de l'industrie (au niveau à trois chiffres de la Classification internationale type par industrie de toutes les branches d'activité économique - CITI) pour illustrer la diversité du secteur du tourisme, et plus particulièrement pour montrer comment sa structure et sa composition varient de manière significative selon les contextes. 

Composition du secteur du tourisme dans différents contextes

L'examen de la répartition de l'emploi entre les différentes industries touristiques nous permet d'identifier et de regrouper les pays dont les données sont disponibles selon des catégories qui transcendent, ou complètent, les groupements régionaux et de revenus habituellement utilisés dans nos analyses. Plus précisément, en fonction du groupe d'industries qui emploie une grande partie de la main-d'œuvre du secteur dans les différents pays, nous identifions quatre groupes comme suit :

Groupe 1: où l'hébergement représente la plus grande part des travailleurs du tourisme, et le secteur de la logistique des voyages peuvent également être importants. Ce premier groupe se compose principalement de petites nations insulaires dépendantes du tourisme (par exemple, les îles des Caraïbes, les îles du Pacifique et d'autres États insulaires comme les Seychelles, Maurice et les Maldives). Dans ces pays, les industries du tourisme représentent une part très importante de l'emploi, et le secteur de l'hébergement - en particulier l'hébergement de courte durée - représente la part la plus élevée de la main-d'œuvre touristique, ce qui reflète les marchés largement internationaux desservis par ces destinations. Le secteur de la logistique des voyages (agences de voyage et voyagistes, services de réservation et activités connexes), qui représente une faible part de l'emploi touristique dans la plupart des pays, peut être relativement important dans certains pays du groupe 1, y compris dans des pays connus pour être des "centres de voyage" comme les Émirats arabes unis.

Groupe 2: où les restaurants et les services d'alimentation et de boissons représentent la plus grande part de l'emploi dans le secteur du tourisme. Il s'agit généralement de pays à revenu moyen inférieur ou supérieur, dont les marchés touristiques internationaux et nationaux sont importants. Dans de nombreux pays à revenu intermédiaire d'Amérique latine et d'Asie du Sud-Est, le secteur du tourisme représente une part importante de l'emploi total, mais une grande partie de cet emploi se trouve dans les restaurants et les services de restauration, souvent suivis par les transports (principalement par voie terrestre) qui répondent autant - ou au moins autant - à la consommation locale et domestique, en plus du tourisme international.

Groupe 3: où le transport terrestre représente la plus grande part de la main-d'œuvre touristique. Dans ces pays, l'inclusion du transport terrestre dans les industries touristiques augmente considérablement la part d'emploi du secteur. Les pays de ce groupe sont principalement des pays à revenu faible ou moyen inférieur d'Afrique, d'Asie du Sud et d'Asie du Sud-Est. Il comprend également quelques pays à revenu moyen inférieur et moyen supérieur des États arabes (Liban, Irak, Jordanie, etc.).

Groupe 4 : où les arts, la culture, les sports et les loisirs représentent une part importante de la main-d'œuvre touristique. Dans ces pays à revenu moyen supérieur ou élevé, principalement en Europe, la plus grande partie de la main-d'œuvre touristique est employée dans les restaurants et les services de restauration. Les arts, la culture, les sports et les loisirs représentent le deuxième groupe d'industries en termes de part d'emploi.

Presque tous les pays du groupe 1 et de nombreux pays du groupe 2 sont souvent considérés comme des pays tributaires du tourisme, c'est-à-dire des pays où les industries touristiques représentent une part importante du PIB, des exportations et de l'emploi. Si les pays du groupe 1 ont tendance à avoir à la fois une forte proportion d'emplois dans les industries touristiques et des recettes touristiques internationales élevées en pourcentage des exportations totales, ce n'est pas le cas de la plupart des pays des autres groupes. Dans ces derniers, les dépenses touristiques intérieures tendent à être plus élevées que les dépenses des touristes entrants dans la plupart des pays, ce qui reflète des économies plus diversifiées et une plus grande dépendance à l'égard des marchés intérieurs. Par exemple, au Mexique (groupe 2), où près de 12 % de la main-d'œuvre est employée dans les industries du tourisme, les dépenses touristiques intérieures représentent 83 % des dépenses touristiques totales. En effet, en moyenne, pour les pays de l'OCDE - dont la plupart appartiendraient au groupe 4 - les dépenses touristiques intérieures ont représenté 75 % des dépenses touristiques totales en 2018.

Il existe des cas intéressants où les recettes du tourisme international représentent un pourcentage significatif des exportations totales, mais où la part du tourisme - et en particulier des industries d'hébergement - dans l'emploi n'est pas aussi élevée qu'on pourrait s'y attendre (par exemple, le Liban et l'Éthiopie - tous deux dans le groupe 3). Dans ces pays, une grande partie des recettes touristiques provient de ressortissants résidant et/ou travaillant à l'étranger et effectuant des visites occasionnelles dans ces pays. Par conséquent, les dépenses des touristes entrants ressemblent davantage à celles des résidents qu'à celles des touristes internationaux (par exemple, les dépenses dans les restaurants, l'alimentation et les boissons plutôt que dans les hôtels et l'hébergement).

Caractéristiques de l'emploi dans les industries du tourisme par groupes de pays

Le tourisme est connu pour être un secteur à forte intensité de main-d'œuvre, qui constitue une source importante d'emplois pour les femmes - y compris les femmes entrepreneurs - et les jeunes dans de nombreux pays à travers le monde. Parmi les industries du tourisme, c'est dans le secteur de l'alimentation et des boissons que la part des femmes dans l'emploi est la plus élevée. La part des femmes dans l'emploi est également élevée dans les industries de l'hébergement. Les industries de l'alimentation et des boissons ont également une part relativement importante de jeunes dans l'emploi. Les activités sportives et les autres activités de divertissement et de loisirs sont d'autres secteurs du tourisme où la proportion de jeunes est élevée.

Alors que les industries de l'alimentation et des boissons représentent une part importante de la main-d'œuvre touristique mondiale, et une part encore plus importante de la main-d'œuvre féminine et juvénile, l'emploi dans ces industries est souvent caractérisé par une part importante (généralement la plus importante) d'emplois indépendants et d'emplois dans des micro, petites et moyennes entreprises (MPME), des taux élevés d'informalité, et une productivité et des salaires relativement plus faibles.

En revanche, les industries à plus faible intensité de main-d'œuvre, qui représentent généralement une part relativement limitée de l'emploi touristique, affichent les taux d'informalité les plus bas et des salaires relativement plus élevés. Il s'agit notamment de secteurs où la part de l'emploi indépendant et de l'emploi dans les MPME est très faible (par exemple, le transport aérien de passagers, le transport maritime et côtier et le transport ferroviaire), mais aussi de secteurs où la part des MPME dans l'emploi peut être relativement élevée (par exemple, dans les activités des agences de voyage et des voyagistes).  

Parmi les autres industries touristiques présentant une part élevée d'emploi indépendant et d'emploi dans les MPME et des taux d'informalité élevés dans tous les groupes de pays figurent les autres transports terrestres (c'est-à-dire à l'exclusion des chemins de fer), les transports fluviaux, la location et le crédit-bail de biens personnels et domestiques, les activités créatives, artistiques et de divertissement, ainsi que les autres activités de divertissement et de loisirs.

En outre, les données montrent que dans la plupart des industries touristiques, la part des travailleurs occupant des emplois informels tend à être beaucoup plus importante que la part des travailleurs employés dans des unités de production informelles. Cela signifie que de nombreux travailleurs employés dans des entreprises formelles et enregistrées dans les industries du tourisme ont des emplois informels, associés à un accès limité à la protection sociale et à d'autres éléments du travail décent.

Si les caractéristiques susmentionnées de l'emploi dans les industries du tourisme sont communes aux quatre groupes de pays, il existe également des modèles spécifiques à ces groupes qui sont liés à des facteurs contextuels. Par exemple, dans les pays du groupe 1, la part des MPME dans l'emploi dans les activités d'hébergement de courte durée est plus faible que dans les autres groupes, ce qui reflète la présence de grands complexes hôteliers dans de nombreux pays. Cela se traduit également par une part relativement plus faible d'emplois informels et de travailleurs sous contrat temporaire dans ce secteur, par rapport à d'autres groupes. Un autre exemple concerne la durée moyenne du travail, qui tend à être beaucoup plus faible dans les pays du groupe 4 que dans les pays des groupes 2 et 3 dans l'industrie des restaurants et des activités mobiles de restauration (non illustré ici en raison du manque de données pour les autres industries), ce qui reflète une plus grande prévalence du travail à temps partiel dans ces industries dans les pays à revenu moyen supérieur et élevé.

Conclusion

Cette exploration de l'emploi dans les industries du tourisme selon différentes dimensions a révélé sa nature diverse et complexe. Il est important de noter que, bien que nous ayons utilisé des moyennes par groupe de pays à des fins de simplification, cela peut masquer les variations entre les pays au sein d'un même groupe et même au niveau infranational. Les statistiques nationales sous-estimeront certainement l'importance du tourisme pour certaines localités. Bien que l'examen approfondi de toutes les observations détaillées et des informations fournies par les données dépasse le cadre de ce blog, nous espérons avoir démontré que l'utilisation de données désagrégées permet d'obtenir une description plus nuancée et plus colorée de l'emploi dans les industries du tourisme et de générer des informations permettant de formuler des politiques efficaces, ciblées et fondées sur des preuves pour soutenir le secteur du tourisme et sa main d'œuvre.

Méthodologie

Il n'existe pas actuellement de définition statistique internationale pour le secteur du tourisme. Pour les besoins de ce blog, l'emploi mondial dans le secteur du tourisme est défini à l'aide de la Classification internationale type par industrie de toutes les branches d'activité économique (CITI Rév. 4) en utilisant les classes suivantes : 

Hébergement des visiteurs

  • 5510 Activités d'hébergement de courte durée
  • 5520 Terrains de camping, parcs pour véhicules de loisirs et parcs pour caravanes
  • 5590 Autres hébergements

Activités liées à la nourriture et aux boissons

  • 5610 Restaurants et activités mobiles de restauration
  • 5629 Autres activités de restauration
  • 5630 Activités de débit de boissons

Transport de passagers

  • 4911 Transport ferroviaire de passagers, interurbain
  • 4921 Transports terrestres urbains et suburbains de voyageurs
  • 4922 Autres transports terrestres de voyageurs
  • 5011 Transport maritime et côtier de passagers
  • 5021 Transport fluvial de passagers
  • 5110 Transport aérien de passagers
  • 5221 Services auxiliaires des transports terrestres
  • 5222 Activités de service liées au transport par eau
  • 5223 Services annexes au transport aérien
  • 7710 Location et location-bail de véhicules automobiles

Loisirs et divertissements

  • 7721 Location et location-bail d'articles de loisirs et de sport
  • 9000 Activités créatives, artistiques et de divertissement
  • 9102 Activités muséales et exploitation de sites et bâtiments historiques
  • 9103 Jardins botaniques et zoologiques et réserves naturelles
  • 9200 Activités de jeux de hasard et d'argent
  • 9311 Exploitation d'installations sportives
  • 9319 Autres activités sportives
  • 9321 Activités des parcs d'attractions et des parcs à thème
  • 9329 Autres activités récréatives et de loisirs n.c.a.

Agences de voyage et services de réservation 

  • 7911 Activités des agences de voyage
  • 7912 Activités des voyagistes
  • 7990 Autres services de réservation et activités connexes

Pour générer les chiffres et les agrégats de l'emploi touristique mondial, pour les pays où la CITI n'est disponible qu'au niveau à 1 ou 3 chiffres, les données sont estimées en utilisant les parts pondérées des pays du même groupe de revenu dont les données sont disponibles au niveau à 4 chiffres. L'hypothèse est que la distribution de l'emploi est similaire au sein des pays du même groupe de revenu. La méthodologie est décrite ici

Les industries du tourisme sont présentées dans ce blog en utilisant des groupes à trois chiffres à des fins de simplification. Ces groupes peuvent inclure des activités qui ne sont pas liées au tourisme. Par exemple, les groupes de transport comprennent également des activités liées au transport de marchandises. 

Les utilisateurs doivent également noter que l'Organisation mondiale du commerce des Nations Unies, en partenariat avec les principaux pays, l'OIT et la Division des statistiques des Nations Unies, a créé un groupe d'experts multidisciplinaire et multipartite sur la mesure de la durabilité du tourisme afin de diriger le développement d'un cadre statistique pour la mesure de la durabilité du tourisme. Ce cadre vise à soutenir une mesure plus harmonisée et intégrée des impacts et des dépendances du tourisme sur l'économie, la société et l'environnement, tant au niveau national qu'infranational. Le cadre peut aboutir à une définition statistique de l'emploi lié au tourisme qui diffère de la définition ci-dessus. 

Auteur

  • Souleima El Achkar

    Souleima est économiste et spécialiste de l'information sur le marché du travail, avec une expertise dans les systèmes de développement des compétences. Depuis 2010, elle travaille comme consultante sur divers projets pour l'OIT, la Banque asiatique de développement et la Banque mondiale.

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