Au-delà des chiffres : Explorer la relation entre la couverture des négociations collectives et l'inégalité

La négociation collective joue un rôle clé dans la promotion du travail décent et l'amélioration des conditions de travail. Mais que montrent les données de l'OIT sur les relations professionnelles en ce qui concerne la relation entre la couverture de la négociation collective, le taux de syndicalisation et les résultats pour les travailleurs ? Comment pouvons-nous évaluer l'impact sur la vie des travailleurs ?
Marcel Crozet / OIT

En mai 2022, la base de données ILOSTAT sur les relations industrielles (IRdata) a été mise à jour, parallèlement à la publication du Rapport sur le dialogue social 2022 : La négociation collective pour une reprise inclusive, durable et résiliente. Cette mise à jour inclut les dernières données nationales pour deux indicateurs de l'ILOSTAT : le taux de couverture de la négociation collective et le taux de syndicalisation.

Dans ce blog, nous utilisons les IRdata pour explorer la relation entre la couverture des négociations collectives et les niveaux de syndicalisation, le type d'emploi auquel elle est liée et l'inégalité des salaires, en tenant compte du niveau auquel les négociations ont lieu.

La relation entre la couverture des négociations collectives et le taux de syndicalisation

Les 99 pays pour lesquels des données sont disponibles à la fois pour les taux de couverture de la négociation collective et les taux de syndicalisation affichent, en moyenne, une relation positive entre les deux indicateurs. Ce résultat est attendu : davantage de travailleurs sont couverts par des conventions collectives lorsqu'un plus grand nombre d'entre eux sont syndiqués. Toutefois, cette relation ne se vérifie pas parfaitement dans tous les pays.

Dans 14 pays sur 99, les taux de syndicalisation sont supérieurs d'au moins 5 points de pourcentage aux taux de couverture. Pourquoi en est-il ainsi ? Il est possible que les membres des syndicats soient concentrés dans le secteur public, où les salaires et les conditions de travail ont tendance à être déterminés par des méthodes autres que la négociation collective. Une autre explication pourrait être le soutien limité des employeurs aux efforts de négociation collective, qui peut se traduire par une couverture plus faible des conventions collectives.

D'autre part, le graphique montre que dans 45 pays, les taux de couverture de la négociation collective dépassent d'au moins 5 points de pourcentage les taux de densité syndicale. Dans ces cas, les membres non syndiqués sont couverts par les conventions collectives en raison d'extensions administratives, de clauses erga omnes ou parce que les employeurs traitent les membres syndiqués et non syndiqués sur un pied d'égalité. De même, si les conventions collectives sont négociées pour l'ensemble de l'économie ou pour des secteurs entiers, englobant à la fois des secteurs syndiqués et non syndiqués, ou incluant des entreprises plus petites où les travailleurs sont moins susceptibles d'être syndiqués, les taux de couverture peuvent être plus élevés que les taux de densité syndicale.

Le graphique montre également que dans 40 pays, les taux de couverture et les taux de densité sont très proches (moins de 5 points de pourcentage de différence). Cela pourrait indiquer que dans ces pays, l'étendue des négociations collectives est étroitement liée au pouvoir de négociation des syndicats, étant donné que les négociations se déroulent principalement au niveau de l'entreprise.

Le niveau auquel les conventions collectives sont négociées est un facteur déterminant de cette variation. Les pays qui pratiquent la négociation mono-employeur au niveau de l'entreprise tendent à avoir des taux de négociation collective beaucoup plus faibles que ceux qui pratiquent la négociation multi-employeurs au niveau sectoriel ou national. Il est intéressant de noter que la plupart des 14 pays dont le taux de couverture de la négociation collective est supérieur à 75 % ont recours à la négociation multi-employeurs au niveau sectoriel ou national.

Dans l'ensemble, le graphique fournit des indications précieuses sur la relation complexe entre la négociation collective et les taux de syndicalisation dans les différents pays. Il met en évidence les différents facteurs susceptibles d'influencer cette relation et souligne l'importance de comprendre ces facteurs pour améliorer la négociation collective et les droits des travailleurs dans le monde.

Quelle est la représentativité des statistiques sur la couverture des négociations collectives ?

L'OIT estime qu'environ 58 % de la population active mondiale occupe un emploi informel. Cela pose un problème lors de l'analyse des données sur les relations industrielles, car la négociation collective est généralement limitée par la loi aux travailleurs considérés comme des "employés" ou à ceux qui ont un emploi formel. Il est donc essentiel de prendre en compte les caractéristiques du marché du travail national pour interpréter les taux de couverture de la négociation collective, en tenant compte de la part des salariés et de l'emploi informel par rapport à l'ensemble de la population salariée.

Le niveau de développement d'un pays et la solidité de ses institutions du travail sont des déterminants importants du taux de couverture national. Les données suggèrent également une relation inverse entre le taux de couverture et la part de l'emploi informel et, inversement, une relation positive entre le taux de couverture et la part des salariés. Des régions telles que l'Europe et l'Asie centrale, ainsi que les pays à revenu élevé, ont une part élevée d'emplois rémunérés et une part faible d'emplois informels. Par conséquent, les conclusions tirées des taux de couverture dans ces pays et régions s'appliquent à la majeure partie de la population salariée totale.

D'autre part, dans des régions telles que l'Afrique, où les pays à faible revenu sont les plus nombreux, les salariés représentent généralement moins de la moitié de la population totale employée, car l'emploi informel est très répandu. Dans ces pays et régions, les taux de couverture calculés en pourcentage des employés ne seraient pas très représentatifs de la population totale employée. Il est donc essentiel d'interpréter le taux de couverture en fonction de sa portée et de sa couverture réelles, en tenant compte de la part de la population salariée à laquelle il se réfère.

Couverture des négociations collectives et inégalité des salaires

La littérature économique suggère que la négociation collective joue un rôle essentiel dans la promotion de l'égalité des salaires et les études tendent à indiquer qu'un taux de couverture plus élevé de la négociation collective est lié à une réduction de l'inégalité des salaires. En outre, les pays où la négociation est plus centralisée tendent à réduire l'écart salarial entre les bas et les hauts salaires. Cette relation est confirmée par les données sur les ratios de distribution des salaires, tels que le 90e centile par rapport au 10e centile. En moyenne, les pays ayant des taux de couverture plus élevés et des négociations multi-employeurs au niveau interprofessionnel et/ou sectoriel affichent une plus faible inégalité salariale dans ce ratio.

Il est intéressant de noter qu'il existe également une association positive entre la couverture de la négociation collective et la part du revenu du travail, qui représente la part du PIB revenant aux travailleurs sous forme de revenu du travail. La littérature économique suggère que les pays où les taux de couverture de la négociation collective sont plus élevés tendent à avoir une part plus importante du revenu national allant aux travailleurs. Cette association est également confirmée par les différentes éditions du Rapport mondial sur les salaires de l'OIT, qui souligne que la négociation salariale peut favoriser une croissance des salaires conforme à la croissance de la productivité. La croissance des salaires et la réduction des inégalités de revenus entraînent une augmentation de la demande intérieure en raison de la plus grande propension à consommer des personnes à faible revenu qui sont les plus susceptibles de bénéficier des conventions collectives. À cet égard, la négociation collective peut soutenir à la fois la croissance économique et une répartition plus équitable des revenus.

Remarques finales

La couverture des négociations collectives joue un rôle clé dans la promotion de la justice sociale et de meilleures conditions de travail, mais les taux de couverture varient considérablement dans le monde. L'ampleur de l'emploi informel et le cadre institutionnel dans lequel les conventions collectives sont négociées (au niveau de l'entreprise, du secteur ou du pays) sont étroitement liés aux taux de couverture.

Grâce à la négociation collective, les travailleurs peuvent négocier de meilleurs salaires et améliorer leur niveau de vie. En outre, la négociation collective contribue à réduire les inégalités, à soutenir la croissance économique et à promouvoir le travail décent en veillant à ce que les travailleurs aient leur mot à dire dans les décisions qui affectent leur vie. La promotion de systèmes de négociation collective inclusifs et d'autres formes de dialogue social est essentielle pour garantir à tous une part équitable des fruits du progrès.

À propos d'IRdata

Les données sur l'affiliation syndicale et la négociation collective sont compilées à partir de différentes sources, notamment les dossiers administratifs, les enquêtes sur les ménages et les enquêtes sur les établissements. L'OIT utilise trois canaux principaux pour la collecte de ces données : le questionnaire annuel de l'ILOSTAT, les microdonnées provenant de la main-d’œuvre et d'autres enquêtes sur les ménages que l'OIT collecte auprès des bureaux nationaux de statistiques du monde entier, et les enquêtes spéciales menées par des experts nationaux dans des pays spécifiques. Une fois collectés, les taux de couverture de la négociation collective et de syndicalisation sont calculés, lorsque le champ des statistiques de l'ILOSTAT concerne uniquement les salariés (à l'exclusion des personnes n'ayant pas d'emploi rémunéré), sauf indication contraire dans les notes. Les taux de couverture de la négociation collective sont ajustés pour tenir compte du fait que certains travailleurs n'ont pas le droit de négocier collectivement leurs salaires (par exemple, les travailleurs du secteur public dont les salaires sont déterminés par la réglementation de l'État ou d'autres méthodes impliquant une consultation), c'est-à-dire que les travailleurs qui n'ont pas le droit de négocier collectivement sont exclus du dénominateur, sauf indication contraire dans les notes. Étant donné que les données proviennent de différentes sources et qu'il y a des ruptures dans les séries chronologiques dans certains pays, les comparaisons entre pays et sur de longues périodes doivent être effectuées avec prudence, et les petites différences et variations ne doivent pas être surinterprétées.

La couverture des pays dans IRdata a considérablement augmenté au cours de la dernière mise à jour : les taux de densité syndicale sont désormais disponibles pour 139 pays et les taux de couverture des négociations collectives pour 99 pays.

Pour plus d'informations, consultez la description des IRdata et le "Guidebook on How and why to collect and use data on industrial relations" (Guide sur la collecte et l'utilisation des données sur les relations industrielles).

Auteur

  • Quentin Mathys

    Quentin est statisticien du travail au sein de l'unité de production et d'analyse des données du département des statistiques du BIT. Il consacre son temps au traitement des microdonnées et à l'analyse des indicateurs du marché du travail.

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