La sécurité en chiffres : ce que nous disent les données de l'inspection du travail

Les inspecteurs du travail jouent un rôle fondamental dans les efforts déployés par un pays pour se conformer aux normes du travail, notamment en matière de sécurité et de santé. Mais le nombre d'inspecteurs diminue, alors que les accidents du travail et les maladies professionnelles augmentent.
Marcel Crozet / OIT

Chaque 28 avril marque la Journée mondiale de la sécurité et de la santé au travail, et cette année, l'ILOSTAT la commémore en honorant les inspecteurs du travail. Nous examinons les données disponibles sur les inspecteurs du travail et leurs activités afin de comprendre dans quelle mesure ils sont bien équipés pour faire respecter le droit du travail, y compris les lois relatives à la sécurité et à la santé au travail.

Près de 3 millions de personnes sont décédées d'accidents et de maladies liés au travail en 2019, la plupart d'entre elles étant causées par des maladies professionnelles (89 %) et environ 11 % par des accidents du travail, selon les estimations de l'OIT. Il y a également eu 395 millions de travailleurs qui ont subi des lésions professionnelles non mortelles. Une étude conjointe de l'OMS et de l'OIT a révélé que l'exposition à de longues heures de travail était le facteur de risque qui entraînait la plus grande charge de morbidité liée au travail en 2016, causant plus de 39 % des décès attribuables à des maladies professionnelles cette année-là. Dans ce contexte, la Conférence internationale du travail a ajouté la sécurité et la santé aux principes et droits fondamentaux au travail en 2022.

L'inspection du travail joue un rôle clé dans la promotion d'un environnement de travail sûr et sain et, plus généralement, dans la réalisation de conditions de travail décentes pour tous.

À ce jour, 150 pays ont ratifié la convention(n° 81) de l'OIT sur l'inspection du travail, 1947, qui demande, entre autres, aux inspecteurs du travail de veiller à l'application des dispositions légales relatives aux conditions de travail et à la protection des travailleurs dans l'exercice de leurs fonctions, y compris en matière de sécurité, de santé et de bien-être des travailleurs.

Alors que les défis traditionnels du marché du travail demeurent et s'intensifient souvent, de nouveaux défis apparaissent. Alors que l'informalité reste omniprésente, que la mondialisation et la numérisation s'intensifient et que les relations de travail évoluent, il est plus que jamais essentiel de renforcer l'inspection du travail pour protéger les travailleurs et garantir le respect du droit du travail. Cependant, les contraintes de ressources qui affectent de nombreuses inspections du travail dans le monde, associées aux réformes législatives et institutionnelles, font qu'il leur est difficile de remplir leur rôle de manière efficace et efficiente.

Nombre d'inspecteurs du travail

Selon les lignes directrices sur les principes généraux de l'inspection du travail, le nombre d'inspecteurs du travail nécessaires pour remplir le mandat d'inspection du travail de manière adéquate dépend du contexte. Celui-ci comprend le nombre, la nature, la taille et la situation des lieux de travail susceptibles d'être inspectés, le nombre de travailleurs, le nombre et la complexité des dispositions légales à appliquer, l'équipement et les ressources dont dispose l'inspection, etc. L'application d'un ratio exclusivement basé sur le nombre d'inspecteurs du travail pour un nombre donné de travailleurs ou de lieux de travail n'est donc pas appropriée. Toutefois, même si un tel ratio de référence n'existe pas, dans de nombreux pays, le nombre d'inspecteurs du travail est insuffisant compte tenu de l'étendue de leurs responsabilités et de la complexité croissante du marché du travail. Une étude de 2013 a révélé que dans la plupart des 15 pays européens étudiés, le nombre d'inspecteurs du travail était insuffisant pour contrôler et faire respecter les normes du travail, y compris celles relatives à la sécurité et à la santé, en particulier dans un contexte de crise où leurs services sont de plus en plus sollicités et où les ressources sont limitées.

Les données de l'ILOSTAT montrent que le nombre d'inspecteurs du travail varie d'un pays à l'autre, naturellement en fonction de la taille de l'économie et de la population active, mais le ratio d'inspecteurs pour 10 000 travailleurs ne dépasse 4 nulle part dans le monde, sur la base des dernières données disponibles. En fait, dans la moitié des 78 pays pour lesquels des données sont disponibles, il y a moins de 0,58 inspecteur pour 10 000 travailleurs. Le ratio médian est un peu plus élevé dans les pays à revenu élevé, avec 0,84 inspecteur pour 10 000 travailleurs, contre 0,41 dans les pays à revenu moyen supérieur et 0,47 dans les pays à revenu moyen inférieur et à faible revenu.

L'analyse de la tendance mondiale du nombre d'inspecteurs du travail est difficile en raison des lacunes dans les données et des séries chronologiques disparates. Néanmoins, sur 75 pays disposant de données dans ILOSTAT, 43 % ont vu leur nombre d'inspecteurs du travail diminuer entre 2009 et 2022 (ou les années disponibles les plus proches), tandis que l'emploi augmentait. Les efforts de réduction des dépenses publiques et les mesures d'austérité ont conduit certains gouvernements à réduire les effectifs des inspections ou à ne pas remplacer les inspecteurs qui partent à la retraite, en particulier en réponse aux crises économiques. Dans certains contextes, le type de contrat, le statut et les conditions de travail des inspecteurs se dégradent également, entraînant une déqualification des inspecteurs souvent accompagnée d'une réduction des équipements et des ressources matérielles, ce qui affecte l'efficacité de l'inspection. 

Cette situation est d'autant plus préoccupante que les tâches des inspecteurs sont de plus en plus difficiles et que l'évolution des marchés de l'emploi les oblige à s'adapter en permanence à de nouvelles réalités.

Inspecteurs du travail et genre

L'inspection du travail doit tenir compte de la dimension de genre pour garantir que les normes du travail sont effectivement appliquées à tous. Une inspection du travail sensible au genre contribue à promouvoir la sécurité et la santé au travail de tous les travailleurs et à s'attaquer aux risques professionnels auxquels les femmes sont exposées de manière disproportionnée, notamment la discrimination, la violence et le harcèlement au travail. Il est essentiel de promouvoir la sensibilisation à la dimension de genre dans l'ensemble du système d'inspection, et l'augmentation de la proportion d'inspectrices du travail est un élément clé à cet égard, tout comme la formation des inspecteurs à l'identification et à la prise en charge de la violence et de la discrimination. En effet, les risques sanitaires auxquels sont confrontées les travailleuses ont toujours été sous-estimés parce que les normes de sécurité et de santé au travail et les limites d'exposition aux substances dangereuses sont basées sur des populations masculines. L'accent mis de longue date sur les industries à main-d'œuvre essentiellement masculine implique que les risques, les dangers et les accidents de ces industries sont mieux connus et mieux pris en compte (par exemple, les efforts visant à garantir la sécurité des travailleurs qui soulèvent des charges lourdes sont courants dans le secteur de la construction, mais le sont moins dans celui des soins).

La situation est encourageante pour la recherche de la parité hommes-femmes pour les inspecteurs du travail : la proportion moyenne d'inspectrices dans les 79 pays disposant de données est de 46 %, tandis que dans 58 % des pays disposant de données, la proportion de femmes parmi les inspecteurs est plus élevée que la proportion de femmes dans l'emploi total.

Toutefois, il reste des défis majeurs à relever pour garantir la sécurité et la santé de toutes les femmes au travail. Les femmes sont souvent surreprésentées dans des secteurs, des professions et des types de lieux de travail particulièrement difficiles à couvrir pour l'inspection du travail, tels que l'économie informelle, les entreprises rurales, le travail domestique et d'autres travaux effectués à domicile.

Visites d'inspection sur le lieu de travail

Selon les lignes directrices sur les principes généraux de l'inspection du travail, le mandat de l'inspection du travail devrait s'appliquer de la même manière à tous les travailleurs et à tous les lieux de travail dans tous les secteurs, qu'ils soient privés ou publics, ruraux ou urbains, formels ou informels, et la majeure partie du temps des inspecteurs devrait être consacrée à la visite des lieux de travail afin qu'ils puissent être en contact aussi étroit que possible avec l'établissement, les employeurs et les travailleurs. Les inspections du travail devraient également tenir compte du fait que les groupes de travailleurs les plus vulnérables ne déposent souvent pas de plaintes auprès de l'inspection du travail et maintenir un juste équilibre entre les visites d'inspection réactives et proactives.

L'ILOSTAT inclut des données sur les visites des lieux de travail effectuées par les inspecteurs du travail au cours de l'année, en se référant à toutes les visites (qu'il s'agisse de premières visites ou de visites de suivi, de visites réactives ou proactives, de visites de toute durée, etc.) Le nombre de visites effectuées par les inspecteurs varie considérablement d'un pays à l'autre, allant de quelques visites par inspecteur en moyenne par an dans certains pays à plusieurs visites par jour en moyenne par inspecteur dans d'autres. Dans la moitié des 83 pays disposant de données, chaque inspecteur du travail a effectué en moyenne plus de 86 visites sur le lieu de travail au cours de l'année de référence. Le nombre médian de visites par inspecteur est un peu plus élevé dans les pays à revenu élevé, soit 88 contre 73 dans les pays à revenu moyen supérieur et 74 dans les pays à revenu moyen inférieur et à faible revenu.

Tout en reconnaissant que la proportion idéale de lieux de travail visités de manière proactive chaque année dépend du contexte, il convient de noter que dans 87 % des 75 pays disposant de données, le nombre de visites effectuées était inférieur au nombre de lieux de travail susceptibles d'être inspectés, et dans 71 % des pays disposant de données, il était inférieur à la moitié du nombre de lieux de travail susceptibles d'être inspectés (en notant que certains lieux de travail ont pu être visités plus d'une fois).

L'évolution de plus en plus rapide des marchés du travail et des environnements de travail exige que les systèmes modernes d'inspection du travail utilisent efficacement les technologies de l'information et de la communication pour améliorer leurs performances, par exemple en permettant un contrôle électronique, un engagement virtuel avec les lieux de travail et les travailleurs, et une planification des inspections basée sur l'analyse des données. L'impact et l'efficacité des visites d'inspection sur le lieu de travail peuvent particulièrement bénéficier de l'utilisation des technologies modernes.

Les défis de l'évolution rapide des marchés du travail

Les marchés du travail évoluent dans le monde entier, de nouvelles tendances se dessinant tandis que certains modèles anciens se maintiennent, voire s'intensifient. La mondialisation continue d'avoir un impact sur divers aspects de l'emploi. La sous-traitance et les intermédiaires du travail sont de plus en plus courants. L'informalité reste omniprésente, tandis que la frontière entre le travail salarié et le travail indépendant s'estompe et que les relations de travail évoluent. Les modalités de travail évoluent également, le télétravail et le travail à distance gagnant du terrain. Le travail occasionnel, le travail non rémunéré et le travail à domicile restent importants dans certains contextes. Si l'on fait abstraction des emplois non déclarés ou non enregistrés, le non-respect des normes du travail est fréquent dans le cadre du travail domestique, du travail à domicile, du travail rural et dans les micro et petites entreprises. Par ailleurs, les inspecteurs n'ont souvent pas le droit de pénétrer sur les lieux de travail situés dans des habitations privées et ont des difficultés à accéder à d'autres, ce qui entrave leur rôle de supervision.

En effet, la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations a noté en 2019 les nombreux défis auxquels sont confrontés certains systèmes d'inspection du travail dans le monde et qui nuisent à leur efficacité, tels que les moratoires sur les inspections du travail, les exigences de notification préalable d'une visite aux employeurs, les restrictions sur les inspections inopinées, les limites à la fréquence, des inspections, les exemptions d'inspection pour une partie importante des entreprises, les réductions substantielles du nombre d'inspecteurs du travail et des ressources qui leur sont allouées, et l'attribution de tâches supplémentaires aux inspecteurs du travail les empêchant de se concentrer sur leurs fonctions principales et portant atteinte à leur autorité et à leur impartialité, pour n'en nommer que quelques-unes.

Tout cela témoigne de la complexité des questions de sécurité et de santé et du fait que les tâches des inspecteurs du travail deviennent de plus en plus compliquées. Les inspecteurs du travail sont actuellement confrontés à de nombreux arrangements de travail, types de contrats et types d'entreprises différents, dont certains au sein de systèmes de production complexes. La formation et l'expertise sont nécessaires pour identifier ces réalités complexes et traiter les questions émergentes.

L'inspection du travail joue un rôle essentiel dans l'application des droits fondamentaux du travail, y compris la sécurité et la santé au travail. Toutefois, les inspections du travail doivent être dotées d'effectifs et d'équipements suffisants pour être à la hauteur de la tâche.  

Ressources clés sur les statistiques relatives à la sécurité et à la santé au travail

Guide sur l'harmonisation des statistiques de l'inspection du travail

Cette publication fournit une méthodologie pour l'utilisation de termes et définitions communs et de procédures communes pour la collecte et la compilation des données de l'inspection du travail. Elle intègre également plusieurs recommandations supplémentaires qui contribuent à l'objectif d'harmonisation des statistiques de l'inspection du travail.

Auteur

  • Rosina Gammarano

    Rosina est statisticienne principale du travail au sein de l'Unité des normes et méthodes statistiques du Département des statistiques de l'OIT. Passionnée par les questions d'inégalité et de genre et par l'utilisation des données pour mettre en lumière les déficits en matière de travail décent, elle est un auteur récurrent du blog ILOSTAT et du Spotlight on Work Statistics (Pleins feux sur les statistiques du travail). Elle a déjà travaillé à l'Unité de production et d'analyse des données du Département des statistiques de l'OIT et au sein de l'équipe du Coordinateur résident des Nations Unies au Mexique.

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